jeudi 1 novembre 2012

Utilisation pratique et intérêt de la mesure de la variabilité cardiaque chez le cycliste




Introduction

La mesure de la variabilité cardiaque est relativement récente (début 1990). La variabilité est le reflet des variations des durées d’intervalles qui séparent deux battements consécutifs. Elles peuvent être mesurées par ECG ou des appareils tels le Polar S810i ou le Suunto T6. Ces deux outils mesurent la durée des intervalles R-R.

Figure 1 - Onde électrique des battements cardiaques

Véritable outil de la performance ou gadget ?

L’analyse de cette mesure permet la possibilité de prédire la performance et d’optimiser l’entraînement. Par contre la mise en œuvre est relativement complexe mais pertinente. De plus, c’est un outil non invasif pour le suivi de l’entraînement et le dépistage du surentraînement des sportifs. C’est donc un indice pertinent de la fraîcheur du sportif. Enfin, les mesures des adaptations neurovégétatives de l’organisme consécutives aux charges d’entraînement permettent l’adaptation de l’individualisation de l’entraînement.

Déterminants de la FC

La fréquence cardiaque est contrôlée par le nœud sinusal et dépend la de la modulation de la fréquence cardiaque intrinsèque par le système nerveux végétatif (SNV). La fréquence cardiaque intrinsèque en l’absence de de l’action du SNV est de 100 bpm. Le SNV a deux composantes antagonistes : les systèmes sympathiques et parasympathiques.
-          Le système parasympathique est cardio-freinateur et innerve le nœud sinusal et le nœud auriculo-ventriculaire
-          Le système sympathique est cardioaccélérateur et innerve tous les cardiomyocytes.
La variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) traduit les variations spontanées du rythme cardiaque qu’il faut mettre en rapport avec :
-          le système nerveux autonome et les systèmes sympathiques et parasympathiques qui l’influencent.
-          La respiration
La VFC est alors caractérisée par différents indices.

Protocoles d’enregistrement

La lecture des études scientifiques mettent en évidence que les conditions d’enregistrement sont déterminantes. Aussi, elles sont difficiles lors de l’effort car elles subissent les influences de la ventilation au-dessus du SV2.
Pour réaliser des mesures fidèles et reproductibles une seule routine s’impose : position corps allongé horizontalement sur le dos dans un environnement et des conditions standardisées. L’enregistrement se poursuit vingt minutes et les cinq dernières minutes sont retenues pour l’analyse. Au réveil, au lit semble donc être le lieu et moment qui réunit ces conditions les plus reproductibles sans autre influence de la journée et du repos. Mais la ventilation peut toutefois perturber l’enregistrement par le phénomène d’arythmie respiratoire. Dans certaines études les sportifs respiraient en rythme synchronisé avec un métronome.
A noter que le tilt-test (utilisé par le logiciel Polar notamment) a été totalement abandonné.

Les indices

Après exérèse des artéfacts via le logiciel Polar, les analyses s’effectuent avec Kubios HRV.

Figure 2 - Prétraitement de l'enregistrement

Statistiques

-          SDNN (msec) : écart-type de la série d’intervalles R-R considérée qui rend compte de la variabilité globale.
-          RMSSD (msec) : écart-type des différences entre deux battements consécutifs et rend compte de la composante rapide de la VFC donc du tonus vagal.
Tonus vagal : stimulation du nerf vague entraînant le ralentissement des battements du cœur.

Qualitatives


Analyses spectrales
Il s’agit d’une analyse du signal R-R par transformée de Fourier rapide pour le classer en trois bandes selon la densité spectrale en fonction de la fréquence des oscillations.
Les hautes fréquences (HF : 0,1 – 0,4 Hz) : quantifient l’activité parasympathique.
Les basses fréquences (LF : 0,04 – 0,15 Hz) : reflète l’activité sympathique avec une composante vagale.
Aussi le rapport HF/(LF+HF) fait référence au concept de « balance sympathovagale » en exprimant la part parasympathique de celle-ci (M. Buchheit - www.martin-buchheit.net).

Figure 3 - Analyse spectrale

Analyse de la VFC avec méthode Poincaré
Cette analyse compare chaque intervalle R-R avec le précédent. Elle est représentée par un nuage de points : un diagramme de  dispersion qui permet de calculer l’indice SD1 (activité parasympathique) et l’indice SD2 (variabilité à plus long terme). Le rapport SD1/SD2 : activité sympathique.
Une analyse visuelle est déjà fructueuse.

Figure 4 - Analyse Poincaré (dispersion)

Utilisation chez le sportif

La mesure bien que très dépendante du protocole est réalisable en routine. La VFC peut varier du simple au double en 24h et dépend donc fortement de l’activité physique du jour qui précède sa mesure. Lors d’une grosse charge d’entraînement la variabilité de fréquence cardiaque diminue. De même un phénomène de surcompensation existe avec une augmentation des HF et de la variabilité globale (délai de 24-48 h). Les études montrent aussi que plus le VO2max est élevé plus le temps de récupération est rapide.
Ainsi une étude de la VFC dans le temps permet de mettre en exergue la diversité des cinétiques de récupération entre les sportifs.
Aussi, il est notable qu’un effet de dominance parasympathique sur la performance permet la prédiction de performance. En cas de surcharge, les valeurs de VFC s’éloignent des moyennes avec une baisse importante des valeurs parasympathiques.
Mais attention : si des augmentations des indices avec une charge d’entraînement réduite (4 – 8 h /sem) sont observables, il apparait qu’avec des charges plus considérables (> 18 h /sem) une baisse des indices intervient. Toutefois, cette baisse n’induit pas de saturation, il faut donc faire preuve de circonspection dans l’interprétation des résultats.
Enfin, les mesures et analyses lors d’un test triangulaire permet la détection des seuils ventilatoires. En effet, l’évolution les HF dans le temps se rapportent au niveau fréquentiel avec les deux seuils ventilatoires.
En définitive la VFC permet une prédiction efficiente de la performance aérobie.


Exemples pratiques

Des études scientifiques montrent une baisse de VFC après trois semaines de charge intense, avec une diminution de l’activité parasympathique. Durant la semaine de récupération on observe une augmentation rapide de VFC avec augmentation de l’activité parasympathique et diminution de l’activité sympathique. Mais les mesures doivent absolument être standardisées.
Ainsi en cyclisme, où la quantification de la charge de travail (TSS) est facilement réalisable avec un capteur de puissance, la mise en relation avec la VFC peut être pertinente.
J’ai ainsi commencé mes mesures méthodiques depuis dix jours. Malgré une baisse de mon activité cycliste j’ai tenté de mettre en relation les analyses de VFC et les charges de travail exprimées en TSS d’après le logiciel WKO+.

Figure 5 - Charges de travail et indices de VFC

Premières constatations 

Il faut mettre en relation les charges de travail (TSS) avec les résultats de VFC des jours qui suivent. Déjà après un premier regard, il est aisé de remarquer que les indices traduisent de manière faible les charges supportées. D’autre part, le phénomène de surcompensation, décrit si fréquemment dans les ouvrages de physiologie, est formellement discernable (charges importante les 18/10 et 20/10) avec une surcompensation les jours suivants (48h). Ainsi, selon la charge infligée, il est possible de temporaliser l’inertie de la récupération. Les TSS ne reflètent pas les zones d’intensité sollicitées, mais il semblerait que plus l’entraînement vise des zones élevées (PMA ou davantage) plus la surcompensation est importante (à confirmer par la multiplication des mesures dans les mois à venir). Ainsi, connaître réellement les temps de récupération et suivre longitudinalement sa VFC permet au cycliste d’optimiser l’agencement des charges de travail pour arriver le jour J en forme suprême. C’est donc un moyen supplémentaire de suivre son entraînement aérobie et anticiper les états de fatigue sans le biais de la subjectivité des sensations. Je vais m’attacher à poursuivre mes enregistrement durant toute l’année afin d’établir les relations qui peuvent surgir entre tous les cycles de travail et l’évolution des capacités physiques.

dimanche 7 octobre 2012

Développer et préserver sa puissance au seuil ventilatoire 2 (SV2) ou seuil anaérobie (SA)



Sans trop entrer dans les détails physiologiques, mais en rappelant brièvement quelques concepts communément admis, je vais exposer une trame de séance que j’ai testé en début de préparation aux cyclosportives et que j’ai reconduit cette semaine. 

Pour identifier la bonne intensité d’exercice, F. Grappe la situe entre 75 et 85 % de la PMA, il parle de la zone d’intensité n°4 (I4) (Puissance et performance en cyclisme, De Boeck, 2012), G. Thibault à 80/85 % de la PMA (Entraînement et performance, Amphora, 2011) et H. Allen et A. Coggan situent cette intensité entre 91 et 105 % de la FTP (Functional Threshold Power = puissance record maintenue ou calculée sur 60 minutes) et la nomment Lactate Threshold (Seuil lactique), (Training and racing with a power meter, 2nd Edition, Velopress, 2010).

Malgré des dénominations différentes elles renvoient toutes aux mêmes intensités de travail. Cette intensité où l’athlète conserve un état stable de lactatémie (autour de 4 mmol.L-1), où on observe une augmentation progressive des douleurs musculaires mais qui reste supportable, où la ventilation augmente mais reste contrôlable (seuil ventilatoire 2 (SV2)), où l'épuisement intervient à partir de 20 minutes d’intensité continue. Le substrat énergétique principal est le glucose ce qui induit un temps de maintien relativement court. Enfin, dans cette intensité la concentration d’acide lactique (qui n’est pas le responsable de tous les maux qu’on a longtemps cru, mais sa mesure traduit l’intensité de travail) peut toutefois augmenter légèrement en fin d’exercice quand les taux de glycogène diminuent. 

Ainsi, travailler à cette intensité en découpant franchement les séries m’a été inspiré à la lecture du tableau des entraînements par intervalles (EPI) de G. Thibault. Pour lui, il est possible de réaliser entre 12 et 13 répétitions de 3’00 à 85 % de la PMA.  Fin avril j’ai effectué 15 séries de 3’ à 333,7 watts moyens (env. 80/85 % de PMA). Les dernières séries avaient toutefois été difficiles à maintenir. Cette semaine j’ai réitéré cette séance pour solliciter cette capacité sans toutefois terminer complètement épuisé. Avec le gros volume d’entraînement réalisé cet été, j’ai pu maintenir 16 répétitions de 3’ à 336,9 watts, avec plus d’aisance.

16 séries de 3' à 85 % de la PMA


Mais force est de constater que découper en petites fractions cette zone cible, permet un maintien de temps cumulé considérable, soit 48 minutes pour cette seconde tentative. Je me suis même parvenu à finir en ‘positive power’ c'est-à-dire d’augmenter les puissances au fil des séries, avec une dernière répétition à 365 watts. 

Alors comme le souligne justement F. Grappe, les adaptations ventilatoires ne sont pas sollicitées au maximum sur des répétitions si courtes (3’), mais dans un début de cycle de développement de cette capacité où en fin de saison pour maintenir une forme minimale, je trouve que ce type de séance est tout à fait adapté. Elle permet de vite avaler une montée de col, avec une alternance qui rend la séance ludique, et n’épuise pas rapidement l’athlète avec des récupérations largement suffisantes.

mercredi 26 septembre 2012

Affûtage



Dans le langage cycliste ce mot définit mal le concept. Tous les cyclistes parlent d’être affûtés en désignant le poids de forme et le fait d’avoir les muscles saillants. Toutefois, ce mot est détourné de son usage originel, à savoir le concept d’amélioration de la forme physique dans le but de hausser une performance. Ainsi, être affûté peut se comprendre comme avoir optimisé les paramètres d’entraînement pour être le plus performant possible le jour J. 

Nous en avions déjà parlé dans ce blog et voilà qu’un article de Sport et Vie (n°134, septembre 2012) consacre un article complet sur le sujet.

Petit résumé adapté à cette problématique cycliste.

Améliorer ses performances en quelques jours, est-ce possible ? Ou comment gagner quelques watts en seulement deux semaines ? Quand la préparation ne laisse aucune place au hasard.

Le concept d’affûtage fait donc place belle à la fraîcheur physique. A force d’aligner les kilomètres, les cyclistes tendent à manquer de fraîcheur et l’objectif est donc de réduire la fatigue sans compromettre les adaptations induites par l’entraînement. 

L’idée directrice forte est de baisser la charge d’entraînement. En anglais les études scientifiques parlent de tapering, et tendent vers des orientations communes en termes de recommandations de planification.

L’objectif primordial est de réduire la fatigue résiduelle. En effet, lors d’une préparation d’un objectif le volume global d’entraînement augmente, tout comme l’intensité, durant des périodes longues (au moins 4 semaines). Ainsi, le maintien des qualités physiques développées et la réduction de la fatigue est le but recherché.  Les études montrent que les performances peuvent être alors augmentées de 0,5 à 6 % ! Exemple pour étayer ce gain : 3 % (gain moyen) d’augmentation sur 300 watts tenus 30 minutes, c’est 9 watts gagnés où 37 secondes économisées ! A prendre. 

Mais ce processus de planification est complexe.



Les études scientifiques relatent toutefois des conclusions similaires (Mujika et al., 2000) : une réduction de 50% du volume global d’entraînement est nécessaire pour augmenter la fraîcheur sans réduire le potentiel physique. Dans cette réduction drastique d’entraînement il faut : 

-          réduire la part d’allure modérée
-          conserver des efforts intenses (pour que le corps garde en mémoire ces intensités)

La durée optimale d’un cycle d’affûtage se situe autour de 14 jours mais il faut individualiser cette durée à l’athlète. Et là, pas de formule magique : il faut essayer ! Sentir et ressentir, se tromper peut-être pour affiner au fil des saisons. 

D’autres études conseillent d’aller plus loin dans la charge de travail qui précède le cycle d’affûtage, pour engendrer une surcompensation plus importante, malgré une baisse des performances à la fin du cycle de développement. Enfin, une dernière conseille de reprendre 3 jours avant l’objectif, des charges plus élevées. Pour savoir ce qui fonctionne le mieux sur soi, l’athlète n’a pas d’autre choix que d’essayer. 

Mais il faut aussi savoir que ces cycles d’affûtage ne sont pas reproductibles à l’infini. En effet, précédés d’une bonne préparation – entre 4 et 8 semaines – ils ne peuvent difficilement s’envisager plus que deux ou trois fois par saison. Pour un coureur FFC, il conviendra donc obligatoirement de cibler des objectifs, et de prendre certaines courses comme support de préparation. Elles pourront se courir avec une fatigue résiduelle importante en vue d’augmenter, par surcompensation, le niveau de performance ultérieur. Cette démarche semble donc plus facile à mettre en œuvre pour les cyclistes préparant des cyclosportives. Ne courant pas tous les weekends, il est plus aisé de programmer des variations de charges d’entraînement.